L'INTERPRÉTATION : MODALITÉS DIVERSES

 

Ce que recouvre « l’interprétation » dans le champ analytique est divers et varié : déchiffrage du matériel, analyse des résistances, mots d’esprit, scansion, coupure… Elle a été, est toujours, source de querelle entre les différentes écoles analytiques.


La pratique révèle que selon les patients, selon les moments de la cure, l’analyste est amené à varier son mode interprétatif.


Ce qui fonde la pratique analytique, au delà des présupposés théoriques (qui d’ailleurs évoluent au cours de la pratique de l’analyste) – mais pas de pratique sans théorie- c’est la cure de l’analyste (même si là aussi, au fur et à mesure de sa pratique, son style propre va s’élaborer) et le désir de l’analyste qui en a émergé.


Je citerai cette phrase de Lacan : « Et ce serait la fin exigible pour le moi de l’analyste dont on peut dire qu’il ne doit connaître que le prestige d’un seul maître : la mort pour que la vie, qu’il doit guider à travers tant de destins, lui soit amie ».


Si la place de l’analyste est une fonction dans le dispositif, l’analyste y est présent avec son corps, ses fantasmes, ce qui reste de l’entame de sa jouissance au cours de sa cure donc avec une partie intime de lui-même. Une analyse dépendra de la façon dont il s’en débrouillera pour prêter son oreille, sa présence corporelle, son appareil à penser au transfert. Il a la responsabilité de la direction de la cure.


L’offre de l’analyste est le premier acte analytique : l’analysant est invité à parler. Mettre l’analysant au travail de dire fait appel au savoir faire de l’analyste car il ne suffit pas d’énoncer la règle de la libre association. Le savoir faire de l’analyste est requis : le tact de savoir ne pas créer un état d’angoisse qui submerge le patient mais aussi de savoir accepter un certain niveau d’angoisse tel que puisse émerger les signifiants liés à l’affect d’angoisse.


L’interprétation s’adresse à l’inconscient, ce que Lacan nomme « la belle derrière les volets ». C’est pourquoi, l’analyse n’avance pas avec les explications ou le dialogue même si parfois l’analyste y a parfois recourt. Ce que vise l’interprétation c’est de rendre possible pour l’analysant une transformation subjective qui change son rapport à ce qu’il méconnaît.


Amener celui qui vient se plaindre et qui attend du réconfort à se demander quelle est sa part dans ce qui lui arrive n’est pas une mince affaire.

L’analyste écoute, ponctue les dires, permet à l’analysant de tisser l’étoffe de son inconscient. La vérité du désir inconscient se donne à entendre par bribes, dans l’espace temps du glissement des signifiants.


L’interprétation prend la forme parfois d’une question : un analysant demande à son analyste, à propos d’un week-end : « est-ce que vous faites le pont ? ».


L’analyste répond : « Quel pont ? »… introduisant là une équivoque possible. La séance d’après, l’analysant dit qu’il a pris conscience qu’en fait il voulait demander à l’analyste : « Est-ce que vous êtes assez solide pour faire le pont, pour me faire passer d’une rive à l’autre ? ».


Elle peut être des bribes de phrases. Une analysante anorexique, qui souffrait d’aménorrhées raconte à son analyste un rêve où il était question de sang et son analyste, Lacan, lui rétorque : « Ah bah vous alors, ah bah vous alors ». L’analysante a entendu alors qu’elle n’y était pas pour rien dans ce qui lui arrivait.


L’analyste acquiesce au nouveau, reconnaît la valeur de l’invention, permet une énonciation : à une patiente qui lui décrivait comment elle entendait les craquement de son psoriasis sur sa main, il disait : « votre corps dit quelque chose ». A quoi elle répondit « non, il ne dit pas, il fabrique ».

Un pas… puis un suivant. L’analysant invente une nouvelle façon de nommer ce qui lui arrive. L’analyste apprend à parler en séance.


La psychanalyse est une expérience au sens où elle ne s’imagine pas à l’avance. Ce qui nous préserve de l’emprise du concept dit Pontalis c’est la langue qui a son souffle propre, qui est rencontre avec l’inattendu. Les mots ne sont pas des définitions. Il y a une équivocité de la langue, une polyphonie du langage. Il y a ce qui est dit entre les dits. Il y a forcément du mal dit qui fera relance. Il y a aussi du malentendu car la parole de l’Autre est interprétée par nous. Les mêmes mots ne disent la même chose à chacun de nous.


L’analysant interroge la façon dont il s’est laissé prendre par les discours dominants : comment le discours familial avec ses dénis et ses non-dits l’impliquent dans ce qui fait impasse pour lui, et comment il s’en sert pour renoncer à ce qu’il désire.


Ce peut être la façon de faire entendre à une analysante un lapsus qu’elle a fait : « auto-satisfaite »… là où elle voulait dire « insatisfaite » en prononçant ce lapsus sur un autre ton, ou de mettre un lapsus en lien avec des éléments du vécu de la patiente dont elle avait parlé à un autre moment : une analysante rapporte un rêve dans lequel elle a une plaie sur son ongle et dans ses associations elle fait un lapsus, elle parle de l’oncle du pied.


Elle entend son lapsus et ne voit pas de qui il peut s’agir. L’analyste lui fait remarquer alors qu’elle oublie le frère de sa mère qui est mort enfant, mort qui avait été traumatique pour sa grand-mère et sa mère. L’analysante dit alors : « j’ai un oncle incarné » : le lapsus devient un mot d’esprit.

L’analyse aide à construire de fictions mais aussi à défaire des constructions dont la certitude faisait point d’arrêt et fixation de jouissance.


Ainsi, à une analysante qui attribuait toute sa souffrance à la mort de son père lors de sa petite enfance, l’analyste a ouvert une autre façon de lire cet événement : « la mort de votre père vous a peut être permis de sortir d’un état autistique où vous étiez ».


Quand l’analyste intervient, il n’invente pas à partir de rien : il interprète à partir de la façon dont les dits de l’analysant ont raisonné en lui. Cela prend parfois un long temps avant qu’il se risque à une interprétation.

L’analyste peut parfois ne pas bien se positionner dans le transfert. Un acting out de l’analysant peut le lui faire entendre.


Il s’agit d’un moment de la cure d’une jeune femme en errance. Elle a longuement parlé du regard de sa mère qui fouillait dans son corps, de son père paralysé et alité, qui avait un corps offert aux regards des autres, à qui elle avait choisi de tout dire et de tout montrer pour le soutenir. Après des moments de grande angoisse, elle est venue à une séance, l’œil au beurre noir, me montrer et me dire qu’elle s’était fait battre par un homme : « je cherche une confrontation, une limite, je me sens là plus près de ma vérité ».


Cet acting-out a réveillé l’analyste qui s’était peut-être laissé fasciner par son discours. Il lui a alors nommé l’œil où elle s’était fait battre.

Elle a associé sur « le voyeurisme de l’oreille », faisant le lien avec son psoriasis qu’elle avait autour de l’oreille, en parlant du « trop de jouissance » à regarder le corps du père et à en entendre les bruits.


Ces moments n’avaient pas été subjectivés, pas pris dans une dialectique du désir.

L’objet regard a été remis en circulation.

Cette jeune femme a pu alors sortir de ce point d’achoppement. L’inscrivant dans un nouveau jeu de langage susceptible à son tour de faire trace dans l’inconscient, construisant un scénario fantasmatique, elle a pu trouver un frayage, une nouvelle négociation avec le pulsionnel.


Tout le long de sa cure, cette jeune femme a construit des objets de décoration de théâtre : travail de sculpture, de peinture, lâchant dit-elle une position de maîtrise pour accepter de laisser la place à une élaboration qui s’effectue au fur et à mesure.


L’analyste peut aussi résister à entendre : ainsi un analyste se demandait : mais pourquoi donc les symptômes obsessionnels de cet analysant, ne cèdent pas, analysés dans tous les sens oedipiens, finement, patiemment ? Cet analyste lisait alors le livre de Rey-Flaud sur l’autisme, et il voit alors l’analysant, dont il se tracassait, dans la cours de l’institution où il travaillait quelques années auparavant avec des autistes en train de bricoler avec les objets de ses obsessions.


Choc… Le choc de la micro-hallucination de l’analysant dans la cours des autistes a fait savoir à l’analyste qu’à chercher des raisons à la persistance des symptômes, il n’était pas dans la temporalité où l’affaire se jouait, il n’était pas au temps où la seule solution possible pour l’analysant avait été de se figer là avec des symptômes qui évoquaient pour l’analyste les objets qu’on appelle autistiques.


L’analysant attirait son intention comme il le pouvait sur une part de son être dont l’analyste souhaitait qu’il se débarrasse avant de l’avoir accepté comme une part non pas étrangère mais extime de son être. De ce fait, l’analyste résistait en souhaitant que l’analysant se débarrasse de ses symptômes.


L’analyste, nous l’avons vu, n’est pas toujours bien positionné et rate parfois car il n’est pas dans la maîtrise. L’important c’est qu’il le reconnaisse et qu’il en fasse quelque chose.


Kathy Saada